Les mesures civiles prises pour la période d’état d’urgence sanitaire concernant les familles internationales
L’épidémie de covid-19 emporte de nombreuses conséquences sur le droit des personnes et de la famille, d’un point de vue interne mais également concernant les familles qui évoluent dans un contexte international.
Il convient de mettre en exergue les principales mesures prises ces derniers jours par le gouvernement et qui concernent directement le droit international de la famille.
- Un enfant est déplacé ou retenu illicitement au sens de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 en France pendant la période d’état d’urgence sanitaire
Pendant la période d’état d’urgence sanitaire et nonobstant la fermeture des juridictions, la procédure de retour immédiat prévue par les articles 1210-4 et suivants du Code de procédure civile est maintenue, s’agissant d’un contentieux essentiel de la matière familiale (Circulaire du 14 mars 2020 relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie COVID-19).
La tenue de la procédure doit cependant être revue à la lumière des différentes lois et ordonnances publiées au Journal Officiel ces derniers jours.
a. Textes applicables à la matière
Pour l’instant, trois textes ont des conséquences directes sur le fonctionnement de la procédure de retour en cas d’enlèvement international d’enfant. Il s’agit de :
- La loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a autorisé le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pendant trois mois, notamment en matière de procédure civile (Article 11) ;
- L’Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété ;
- L’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.
Par ailleurs, les plans de continuation d’activité de chaque juridiction spécialement compétente pour ce contentieux doivent également être consultés pour compléter ces mesures (Circulaire de présentation de l’ordonnance n° 2020-304 du 26 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété).
Ces mesures s’appliquent priori tant devant le Juge aux affaires familiales que devant la Cour d’appel et la Cour de cassation.
b. Champ d’application ratione temporae de ces mesures dérogatoires
En l’état de la situation, la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 prévoit à son article 3 l’état d’urgence sanitaire pour une durée de 2 mois à compter de son entrée en vigueur, c’est-à-dire à partir du 24 mars, soit jusqu’au 24 mai 00h00.
Les mesures issues des Ordonnances et qui nous intéressent pour la procédure de retour s’appliquent quant à elle pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire ainsi que dans le mois qui suivra la date de cessation de cet état d’urgence. Elles s’appliqueront, sauf prorogation de la période de l’état d’urgence sanitaire, a priori jusqu’au 24 juin 00h00.
Elles rétroagissent par ailleurs au 12 mars 2020 tant d’un point de vue des délais que des mesures assurant le fonctionnement des juridictions judiciaires ne statuant pas en matière pénale.
c. Conséquences pratiques de l’état d’urgence sanitaire sur le déroulement d’une procédure de retour
Les modalités pratiques de la procédure de retour sont modifiées en ce sens :
- La demande de date pour assigner en procédure accélérée au fond : l’Ordonnance n°2020-304 ne contient aucune disposition générale en matière civile, ou spéciale à la matière de l’enlèvement international d’enfant sur cette question. Il convient donc de se référer au plan de continuation d’activité de chaque Tribunal Judiciaire spécialement compétent pour se renseigner sur les modalités pratique d’obtention de la date d’audience à laquelle l’affaire sera appelée. Il est fortement envisageable que la demande ne se fasse que par le dépôt, au greffe, de votre projet d’assignation et de deux jeux de pièces. La date sera communiquée ultérieurement par tous moyens.
- Les modalités pratiques de l’audience : l’audience de plaidoiries pourra être réalisée par visio-conférence ou si cela s’avère impossible par tout moyen de communication électronique y compris par téléphone (Article 7 de l’Ordonnance n° 2020-304). Il s’agit pour le juge d’une simple faculté (Circulaire de présentation de l’ordonnance n° 2020-304 du 26 mars 2020). Sa décision est cependant insusceptible de recours.
- La présence des parties à l’audience : les parties peuvent se rendre à l’audience munies de leur attestation dans la mesure où leur présence rentre dans la catégorie des déplacements autorisés correspondant à la « convocation judiciaire ». Elles devront présenter la première page de l’assignation ou figure la date de convocation à cette audience.
- La suppression envisageable de l’audience si les deux parties sont représentées ou assistées d’un avocat : si les deux parents (ou une autre partie titulaire du droit de garde au sens de la Convention) font état d’une représentation ou d’une assistance par avocat, le Juge aux affaires familiales peut décider de statuer sans audience, sans que les parties ne puissent s’y opposer s’agissant d’une procédure accélérée au fond (Article 8 de l’Ordonnance n° 2020-304 et Circulaire de présentation de l’ordonnance n° 2020-304 du 26 mars 2020). En telle hypothèse la procédure est exclusivement écrite et la remise des écritures et pièces doit se faire par notification entre avocat.
- Le délai pour interjeter appel et former un pourvoi en cassation : si, selon la situation, le délai pour former une voie de recours (de quinze jours en la matière tant pour l’appel que pour le pourvoi en cassation) arrive à son terme après l’expiration du délai d’un mois suivant la cessation de la période d’état d’urgence sanitaire, c’est-à-dire à compter du 25 juin, alors il n’est ni prorogé ni suspendu. En revanche, pour tout délai qui arriverait à son terme avant le 25 juin, la voie de recours pourra valablement être formée dans les quinze jours suivants cette date (Article 2 de l’Ordonnance n° 2020-306) sous réserve de l’application des délais de distance à la situation.
- L’exécution de la décision de retour : si le retour immédiat de l’enfant est prononcé, l’exécution sera en pratique retardée et le retour ajourné. Il convient de se référer aux mesures restrictives prises par l’Etat vers lequel le retour de l’enfant a été ordonné pour vérifier que l’enfant pourra retourner dans cet Etat et à quelles conditions.
Sur le fond, en principe le Juge aux affaires familiales qui serait saisi d’une demande de retour d’un enfant enlevé vers la France ou retenu en France depuis moins d’un an est obligé d’ordonner son retour immédiat sauf exceptions (Convention de La Haye du 25 octobre 1980, Article 12 alinéa 1). Ce délai restreint dans une certaine mesure la défense du parent ayant enlevé ou retenu l’enfant ainsi que les pouvoirs du juge.
Sur ce point, l’on pourrait estimer que si le délai d’une année devait expirer entre le 12 mars et le 24 juin 2020, alors il pourrait avoir été suspendu pendant cette période et commencer à courir à nouveau à partir du 25 juin. Il est cependant permis de considérer que, dès lors qu’il est précisément possible de saisir le Juge aux affaires familiales d’une demande de retour pendant cette période, une telle interprétation ne devrait pas être envisagée. Cette interprétation serait par ailleurs plus fidèle à la philosophie de la Convention et à la célérité qu’elle impose. C’est celle que nous partageons.
Bien qu’elle ne dispose d’aucune valeur normative, la Circulaire de présentation de l’ordonnance n° 2020-304 du 26 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété indique quant à elle que la prorogation ne s’applique qu’aux délais prévus par la loi ou le règlement.
Il convient à notre sens d’agir donc dès à présent si la question se pose.
2. Exécution d’un droit de visite et d’hébergement transfrontière
L’attestation de déplacement dérogatoire ne permet pas l’exécution d’un droit de visite et d’hébergement transfrontière dans la mesure où elle n’a aucune force contraignante pour un Etat étranger.
Par ailleurs, en pratique, l’interdiction d’entrée sur le territoire mise en œuvre par l’Etat étranger empêchera l’entrée provisoire de l’enfant.
3. Un ressortissant français expatrié à l’étranger est revenu en France après le 1er mars 2020 et n’est pas reparti dans son pays de résidence
Un français expatrié à l’étranger qui serait arrivé en France depuis le 1er mars 2020 et qui ne serait pas rentré dans l’Etat étranger dans lequel il réside, soit par contrainte soit par sa propre volonté, est automatiquement affilié au régime général de l’assurance maladie (et maternité) sans délai de carence.
Cette mesure s’applique à tout expatrié français entré sur le territoire français entre le 1er mars et le 1er juin 2020.
4. Un ressortissant étranger est titulaire d’un titre de séjour qui arrive à expiration entre le 16 mars et le 15 mai 2020
En vertu de l’Ordonnance n° 2020-328 du 25 mars 2020 portant prolongation de la durée de validité des documents de séjour,les documents suivants relatifs au séjour d’un ressortissant étranger en France et qui expirent entre le 16 mars et le 15 mai bénéficient d’une prorogation de leur durée de validité pour 90 jours, on l’imagine, à compter de leur date d’expiration.
- Visa de long séjour ;
- Titre de séjour peu importe sa nature (sauf titre de séjour spéciaux délivrés au personnel diplomatique ou consulaire) ;
- Autorisation provisoire de séjour ;
- Attestation de demande d’asile ;
- Récépissé d’une demande de titre de séjour.
5. Une interdiction de sortie de territoire a été ordonnée par le Juge des enfants
Une mesure d’interdiction de sortie de territoire ordonnée par le Juge des enfants – soit dans la décision qui prévoit une mesure d’assistance éducative soit dans la décision qui ordonne une mesure d’information (article 1183 du Code de procédure civile) – et qui expirerait pendant la période d’état d’urgence sanitaire peut être renouvelée, sur proposition du service chargé de la mesure, dans les conditions suivantes :
- Elle nécessite l’accord écrit d’un parent au moins ainsi que l’absence d’opposition également écrite de l’autre parent, à la date de l’expiration de la mesure ou bien à celle où il est statué sur le renouvellement ;
- Le renouvellement ne peut excéder 9 mois s’agissant des mesures prises sur le fondement de l’article 375-3 du Code civil ou 1 an s’agissant des mesures prises sur le fondement des articles 375-2 et 375-9-1 du Code civil ;
- Il est fait droit au renouvellement par décision motivée rendue sans audition des parties.
Il s’agit là de la combinaison des articles 14 et 15 de l’Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.